Pour améliorer la gestion des ressources en eau, parlons d’économie

Je suis ingénieure agronome, spécialisée dans la gestion intégrée des ressources en eau. Les cours d’économie, ça ne m’a jamais intéressé. Ma passion c’est le cycle de l’eau, la dynamique des nappes et des rivières, les molécules chimiques qui polluent notre bien commun, le partage de cet or bleu par-delà les frontières administratives, ou encore les lieux de reproduction pour les truites, crapauds et libellules.

Et puis en 2016 je suis arrivée à ACTeon[1] !

A mon tour, je vais vous expliquer pourquoi l’économie est si importante quand on veut gérer et protéger durablement les ressources en eau et pourquoi il faut toujours avoir un·e économiste dans son équipe.

 

Raison n°1 : aller au-delà des considérations environnementales

On rêverait tous d’avoir les meilleures argumentaires, les photos les plus évocatrices et le soutien d’un·e influenceur·euse pour convaincre de s’intéresser aux rivières, aux nappes souterraines, aux zones humides. Mais il y a mieux : les analyses économiques[2][3]  ! Vous retiendrez ainsi l’attention de vos interlocuteurs·trices, même les moins passionné·e·s par les questions environnementales. Dans notre arsenal : l’évaluation des coûts de l’inaction ou de la dégradation du cycle de l’eau, la monétarisation des services écosystémiques[4] (comment les zones humides bénéficient à nos sociétés ?), l’approche coût-bénéfice[5] (est-ce qu’investir dans la prévention des risques est meilleur pour l’action publique sur le long terme ?) et l’analyse coût-efficacité (pour choisir entre solutions fondées sur la nature et génie civil).

Figure 1. Les services écosystémiques d’une tourbière[6] (ACTeon 2022)

 

Raison n°2 : collecter, vérifier, traiter et interpréter les données économiques

La plus-value d’un·e économiste est de vous aider à identifier, produire ou interpréter les indicateurs socio-économiques les plus pertinents pour votre politique de gestion de l’eau[7]. Que signifie vraiment une « production brute standard » (PBS) et est-ce utile pour votre étude ? Comment les données sur le pouvoir d’achat peuvent être mobilisées pour trouver des solutions à la tarification de l’eau ? Quelles représentations graphiques et indicateurs choisir pour comparer différentes filières économiques ? Enfin, il y a deux difficultés majeures dans la manipulation de données économiques : l’espace et le temps.

  • L’espace, parce que les données économiques ne sont pas disponibles à l’échelle des bassins versants mais des communes ou des départements. Vous devrez donc mettre en place des hypothèses de calcul pour agréger les données communales (sachant que certaines communes ne sont pas en totalité sur votre bassin versant) ou désagréger des données à l’échelle départementale. Si vous n’êtes pas à l’aise avec R, le logiciel de référence pour de telles tâches, passez votre chemin.
  • Le temps, parce que pour pouvoir comparer des indicateurs ou faire des ratios, il faut utiliser une année ou une période de base comme point de référence. Des valeurs monétaires en 2010 n’ont plus rien à voir avec celles de 2025 à cause de l’évolution du pouvoir d’achat et de l’inflation : il faut donc calculer des valeurs réelles avec un taux d’actualisation pour l’ensemble de vos indicateurs.

 

Raison n°3 : qui paye pour l’eau ?

Chaque projet a un coût. Sans une stratégie financière solide et une transparence sur les bénéficiaires finaux, même les meilleures idées risquent de tomber à l’eau. Mais combien coûte réellement la prévention des inonda

tions ? => estimation des coûts d’investissements et de fonctionnements. Qui doit payer pour l’entretien des grands ouvrages hydrauliques : la collectivité ou les bénéficiaires[8] ? => étude de recouvrement des coûts. Comment déterminer un prix de l’eau juste et inciter à être économe ? => fiscalité de l’eau.

Bien entendu, les défis financiers ne se limitent pas aux dépenses immédiates. Comment rémunérer les pratiques bénéfiques pour la qualité de l’eau sans induire une distorsion de concurrence ? => paiements pour services environnementaux[9]. Est-ce qu’une stratégie d’acquisition foncière serait plus rentable à long terme qu’une nouvelle unité de traitement de l’eau potable ? => analyse multicritères. Dans quels cas les Etats peuvent-ils déroger aux objectifs de bon état des masses d’eau ? => notion de coûts disproportionnés[10].

L’actualité de l’économie de l’eau est en constante évolution, avec l’apparition régulière de nouveaux mécanismes de financement, des réglementations changeantes et des opportunités émergentes. L’expertise de nos économistes vous aidera à naviguer parmi ces nouveaux concepts pour faciliter la prise de décision.

L’économie est partout dans la gestion de l’eau : la preuve par l’exemple avec le DPSIR

Connaissez-vous le DPSIR[11] ? Non ? C’est une représentation des relations de cause à effet entre les activités humaines et les ressources naturelles. L’acronyme signifie Forces motrice (Driver), Pression, Etat (State), Impact et Réponse. Le renseignement des composantes D et P vise à lister les activités humaines qui sont ou seront présentes sur un bassin versant et exerce(ro)nt des pressions sur les ressources en eau : elles nécessitent donc de décrire l’économie d’un territoire (notamment le poids des différentes filières et leur dynamique d’évolution) et la société (démographie et fréquentation touristique, classes d’âge, niveaux de vie) actuelle et future. Ces éléments sont essentiels pour comprendre les usages de la ressource en eau, les aménagements hydrauliques hérités du passé et l’exposition aux risques liés à l’eau. Les dimensions I et R font aussi appel à des indicateurs économiques puisqu’elles illustrent à leur tour les conséquences de la dégradation des masses d’eau sur l’économie et la société, notre dépendance à l’eau ainsi que les opportunités d’action (le cout associé aux mesures, leur financement et les instruments économiques à mobiliser).

C’est ainsi le meilleur moyen de mettre en lumière l’importance de l’eau pour le développement socio-économique du territoire, et qui aidera à convaincre les décideurs de s’intéresser au sujet !

 

 

Intégrer les sciences économiques apporte donc une réelle plus-value dans les discussions et décisions que nous accompagnons autour de la gestion des ressources en eau. En bref, pour faire avancer nos réflexions sur l’état et le devenir des masses d’eau, des risques inondations ou des milieux aquatiques, n’oubliez pas les dimensions économiques !

Si vous vous posez des questions sur comment intégrer l’économie dans vos projets, si vous êtes curieux d’en savoir plus sur nos réalisations et expertises, contactez-nous ! Nos économistes se feront un plaisir de vous répondre : Rianne Van Duinen, Gloria De Paoli, Youssef Zaiter, Jia Wang.

 

Maïté Fournier, consultante senior Appui aux politiques de l’eau, ACTeon

 


[1] Guide pratique pour la mise en œuvre d’analyses socio-économiques en appui à l’élaboration de SAGE et de contrats de rivière, ACTeon, 2013

[2] Eclairer les dimensions sociales et économiques de la politique de l’eau du bassin Loire-Bretagne – Mettre en pratique : mener des analyses économiques de la gestion de l’eau à l’échelle de territoires, AELB, 2018 ; Eclairer les dimensions sociales et économiques de la politique de l’eau du bassin Loire-Bretagne – Quelle place pour les analyses sociales et économiques dans la gestion territoriale de l’eau ?, AELB, 2018

[3] Ingénierie écologique appliquée aux milieux aquatiques. Pour qui ? Pour quels bénéfices ?, IRSTEA & ASTEE, 2018 ; Note de travail – Argumentaire économique en faveur de la préservation des eaux souterraines pour l’alimentation en eau potable – Projet CARAC’O, BRGM, 2015

[4] Les milieux humides et aquatiques continentaux français – Messages clés à l’attention des décideurs, CGDD, 2019 ;

BIODIV’2050 Évaluation socioéconomique des Solutions fondées sur la Nature, CDC Biodiversité, 2019

[5] L’ACB (analyse coût/bénéfice) : une aide à la décision au service de la gestion des inondations – Guide à l’usage des maîtres d’ouvrage et de leurs partenaires, CEPRI, 2011

[6] https://www.reserve-regionale-tourbiere-des-saisies.com/wp-content/uploads/2022/07/saisies_synthese_francais_vf.pdf

[7] Eclairer les dimensions sociales et économiques de la politique de l’eau du bassin Loire-Bretagne – Méthodes et outils d’analyse sociale et économique : concepts, mise en oeuvre et exemples d’applications, AELB, 2018

[8] Etude sur la récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau sur les bassins métropolitains, IREEDD et ACTeon, 2024.

[9] Les paiements pour services environnementaux en agriculture : pourquoi s’y intéresser et comment les déployer ?, CEP, 2020

[10] https://economie.eaufrance.fr/

[11] EEA Technical Report n°25, https://www.eea.europa.eu/en/analysis/publications/tec25